mercredi 8 février 2017

Irak (et Syrie) - L’action des militaires français auprès des unités irakiennes ou kurdes (et syriennes) : quelles évolutions possibles ? (5/5)

Après des précédents volets consacrés à décrire ce que font les militaires français, issus des unités conventionnelles ou des forces spéciales, en Irak et en Syrie, et quelques mises en perspective des résultats obtenus, cette dernière partie s’efforcera de donner des pistes d’évolutions possibles de l’effort français en Irak et en Syrie (hors partie aérienne et navale).
 
 
Camions logistiques blindés PP LOG et canons CAESAR.

L’apport de l’appui d’artillerie : rupture dans la continuité de l’approche indirecte

Afin de faciliter et d’accélérer la reprise et la stabilisation de certaines agglomérations et provinces irakiennes, la France a répondu positivement début 2016 aux demandes formulées par la coalition internationale (hauts responsables américains en tête) pour de nouveaux renforts. Cette amplification de l’effort français s’est concrétisée par le déploiement de nouveaux leviers d’actions ("enablers") fin août 2016 sous la forme d’un groupement tactique d’artillerie (GTA), appelé Task Force Wagram.
 
Bien que déployée au sol, l’artillerie est une arme qui permet des modes d’action relativement indirects, du fait de « la distance de sécurité » permise par la portée des tirs, limitant politiquement les risques d’avoir à assumer des pertes. Bien que la mort d’un artilleur américain des Marines en mars 2016, suite au tir d’une roquette par l’organisation de l’Etat islamique, rappelle que l’adversaire à des moyens d’atteindre les avant-postes d’artillerie ("firebase") disséminés sur le territoire irakien. Ce GTA français s’est inscrit dans une approche globalement plus directe d’appui et de soutien aux forces de sécurité irakiennes : hausse du nombre de forces spéciales déployées, conseils délivrés au plus près de la ligne de front, passant du niveau division au niveau brigade voir bataillon, etc.

Ce groupement est centré autour de 4 camions équipés d'un système d'artillerie type Caesar, et des moyens associés pour mettre en œuvre ces canons de 155 mm : moyens de commandement, de « force protection » (autour d’une grosse section), de logistique, de transmissions, de déminage, de santé, etc. Soit un peu moins de 150 militaires, principalement autour d’éléments du 68ème régiment d’Artillerie d’Afrique (RAA) de La Valbonne, notamment pour les équipes des pièces (chef de pièce, conducteur, pointeur-tireur, pourvoyeurs). Ce premier mandat arrive ces jours-ci à sa fin, avec une relève qui pourrait voir des unités revenir en Irak après avoir connu ce théâtre d’opérations lors de l’opération Daguet en 1991. La co-localisation auprès de militaires américains permet de faire des économies sur certaines composantes d’un tel détachement, notamment pour les aspects soutien : alimentation, infrastructures, moyens sanitaires lourds, etc. Vues les conditions, des véhicules plutôt protégés ont été déployés : camions logistiques PP LOG, blindés PVP pour les liaisons et les escortes, camions Caesar dotés de cabines blindées, véhicules VAB VOA d’observation d’artillerie, etc.
 

Moyens de communication et sécurité opérationnelle...

Relativement inédit à l’échelle de l’emploi de l’artillerie française durant les 20 dernières années (pour une mise en perspective historique, cf. ici et ), ce GTA a pour mission d’apporter un appui à distance aux troupes irakiennes au sol. Il est relativement autonome, au-delà de la partie observation/désignation, car dépendant en grande partie des coordonnées transmises par des observateurs extérieurs (forces spéciales, forces locales, appareils, etc.). Parfaitement interopérable, il s’est inséré rapidement dans la chaîne opérationnelle de la coalition (avec une pleine capacité opérationnelle atteinte dès le 20 septembre) marquée par les procédures américaines : transmission des coordonnées de tirs et procédures de validation (néanmoins selon des règles d’engagement françaises et le principe de "red card holder" permettant de mettre un veto en cas de doutes : présences de civils, etc.).

Les 4 derniers mois de 2016, la TF Wagram a été déployée sur la base de "Q-West" à Qayyarah à 60 km au Sud de Mossoul (sur le millier de militaires présents, un peu moins de 800 étaient américains). Du fait notamment de l’avancée des opérations de reprise de Mossoul depuis octobre, la ligne de front s’est déplacée plus au Nord, au-delà de la portée théorique (entre 4,5 et 42 km sans obus à propulsion additionnelle) des canons de 155mm. Cela a obligé à scinder en deux le détachement pour se rapprocher des zones d’efficacité. Profitant de leur bonne manoeuvrabilité et de leur niveau de protection, car sur roues et blindées, 2 pièces sur 4 ont rejoint début 2017 une emprise à 20 km au Nord de Mossoul (non précisée officiellement), plus spartiate, où opèrent également des pièces américaines légères M777 en 155mm, des véhicules lance-roquettes guidées HIMARS, voire des automoteurs M109 de type Paladin. Cela a permis d’appuyer récemment les opérations menées à 10km au Nord de Mossoul autour de la ville de Tall Kay. Les 2 pièces restantes à Q-West continuent de participer à la protection de la base (lors de tirs planifiés ou sur alerte 24/7, avec des délais de réaction extrêmement brefs), ainsi qu’à la sécurisation des zones environnantes face à des ilots de résistance, notamment le long du fleuve Tigre entre Baiji et Mossoul (région de Sharqat), au profit de la 60e brigade irakienne.

Pour ses missions de tirs (plus de 250 rien qu’en 2016, et plus de 300 à ce jour), le Caesar emploie différents types de munitions : explosives s'il s'agit de neutraliser ou de détruire, éclairantes pour illuminer, ou fumigènes pour aveugler. Selon les comptes rendus hebdomadaires par l’état-major des armées, la majorité des missions sont pour de l’éclairement (quasi 50%) ou d’interdiction (où il s’agit de frapper des positions non forcément occupés, afin d’empêcher une éventuelle réutilisation). Très peu de missions de tirs sont réalisées lors de prises à partie ou en contre-batterie (pour frapper les positons de tirs estimées adverses). Usage peu courant, la TF Wagram peut revendiquer des tirs antinavires, de destruction de moyens utilisés par l’organisation de l’Etat islamique pour traverser le Tigre. La préparation d’artillerie (en liaison avec les moyens aériens) pour la reprise des quartiers Ouest de Mossoul se poursuit, l’opération étant attendue « bientôt » selon le Premier ministre irakien.
 

Le masque ANP toujours pas loin...

Ce déploiement a également permis de rafraîchir les procédures de tirs en ambiance NRBC (avec le port d’équipements de protection de type ANP, bien visibles à la cuisse) du fait des menaces présents : roquettes type CHICOM ou obus avec des produits chimiques, air vicié suite à l’incendie volontaire par l’organisation Etat islamique de l’usine de dioxyde de souffre d’ Al-Mishraq, etc. Une menace encore une fois confirmé lors de récents prélèvements analysés par "des spécialistes français" à l’université de Mossoul. Ce déploiement a également été porteur d’enseignements en termes de sécurité opérationnelle (l’ensemble des mesures pour éviter la divulgation d’informations sur les opérations) : publication par un observateur local de photographies montrant l’arrivée des matériels, erreurs pour protéger les unités déployées (visibilité de l’insigne régimentaire sur les canons des Caesar, qui ont dû être cachés de manière rudimentaire, article publié sur le site du ministère de la défense mis à jour pour effacer les mentions des régiments, etc.).

Vers une bascule d’efforts entre l’Irak et la Syrie ?

Les autorités politiques françaises, Président de la République en tête lors de sa visite en Irak début janvier 2017, ont régulièrement insisté pour "amplifier les efforts dans les semaines à venir" afin d’accélérer la reprise du territoire irakien (des quartiers Ouest de Mossoul dans un premier temps) et, en parallèle de la reprise de Mossoul, ne pas négliger la préparation de celle de Raqqah. Amplification demandée sans néanmoins préciser comment et avec quoi.

Jusque-là, les autorités militaires n’ont pas semblé vouloir modifier en profondeur l’approche concernant le volet assistance militaire opérationnelle (AMO) de la Task Force Narvik (auprès de l’ICTS) et Monsabert (auprès de la 6ème division d’infanterie). Pour le moment, il ne semble pas être prévu de déploiements d’instructeurs supplémentaires pour, par exemple, amplifier l’effort de remontée en puissance de l’ICTS, prendre en compte une nouvelle grande formation en plus de la 6ème division d’infanterie (une demande récurrente des plus hautes autorités irakiennes), mettre plus prêt du front des conseillers dans les état-major de brigades et les bataillons, mettre en place des DLAO (détachements de liaison et d’appui opérationnels) au sein des unités, etc. Composés chacun d’une trentaine de soldats, les DLAO sont des équipes déployées au plus près des forces partenaires pour accompagner et conseiller, mais également apporter des appuis spécialisés (guidage aérien, lutte contre les IED, soutien santé, etc.). Ce type de structures, peu rigides, a et est largement employé par les militaires français (Afghanistan, au Mali, etc.). Aujourd’hui, l’appui au combat reste l’apanage en Irak (et encore en plus en Syrie) des forces spéciales. Ce qui n’est pas sans rappeler le cas de l’opération Sabre au Sahel, opération lancée dans la discrétion autour de 2008, puis inscrite dans la durée et qui monopolisait des ressources. Le Commandement des opérations spéciales (COS) a eu bien du mal à faire remplacer par les forces conventionnelles, pourtant tout à fait aptes à remplir ces missions, surtout après l’expérience afghane. Ce fût le cas pour les détachements d’instruction opérationnelle à Atar en Mauritanie auprès des FATIM (forces armées de la République islamique de Mauritanie), assurées par des unités spécialisées conventionnelles (type GCP, GCM, SAED, etc.) qu’après 2012-2013. Des réflexions similaires pourraient néanmoins être mises à l’ordre du jour, surtout pour celles demandant une discrétion moins importante.
 
 
Garantir la sécurité opérationnelle pour cacher l'insigne d'un régiment, c'est parfois aussi simple qu'un bout de bâche et du scotch sur un fut de canon...

Il en est de même pour le volet appui avec le groupement tactique d’artillerie, qui ne semble pas devoir être renforcé ou complété prochainement par d’autres moyens aux approches relativement similaires comme des hélicoptères de combat, par exemple. La disponibilité relative de tels appareils (Tigre ou Gazelle), déjà grandement employés sur d’autres théâtres d’opérations (au Sahel notamment), ne permet que peu d’envisager de tels renforts. L’exemple de l’action des hélicoptères américains actuellement déployés en Irak (et prochainement en Syrie) milite pourtant pour un tel emploi. Et de manière plus globale, à l’échelle des armées françaises très employées, quand bien même certaines marges de manœuvres seraient dégagées dans les mois à venir sur certains autres théâtres d’opérations (Sahel, Liban avec une baisse à venir de la participation française à la FINUL, etc.).

Sur le plan géographique, des évolutions franches pourraient avoir lieu prochainement. D’abord, une bascule d’efforts entre l’Irak et la Syrie, c’est-à-dire une évolution de la répartition des moyens consacrés respectivement aux 2 zones. Déjà en partie effective pour les moyens aériens, cela pourrait être également le cas pour les forces spéciales, avec un renforcement du dispositif en Syrie, aujourd’hui modeste (une cinquantaine d’opérateurs environ, surtout au Nord-Ouest de Raqqah). En attendant une gestion de l’après reprise de Raqqah, aujourd’hui bien peu balisée. La question politique et de souveraineté, contrairement à l’Irak (où les opérations se font à la demande du gouvernement légitime), reste sensible quant au déploiement de moyens moins discrets et/ou plus conventionnels dans cette zone. Néanmoins, comme pour d’autres moyens, la sur-activité de certains éléments des forces spéciales, avec environ 400 à 600 opérateurs déployés à l’instant t en opérations en juin 2016 (sur les 2.500 environ du COS), ne devrait pas permettre un sursaut majeur, sans dégarnir d’autres.
 
Echange de scratchs franco-américains. Image retirée de certaines bases d'illustrations américaines suite à une demande française...

Pour le dispositif conventionnel réparti aujourd’hui entre Bagdad et Abou Grahib, des évolutions à la marge pourraient avoir lieu. C’est déjà le cas pour d’autres partenaires de la coalition, comme les militaires américains, hors forces spéciales, réalisant des missions de conseils au niveau brigade (voir plus bas), quand les militaires français restent principalement au niveau "division". C’est aussi le cas pour la décentralisation progressive des actions de formation, qui aujourd’hui sont menées principalement sur 5 à 6 grands sites, et qui petit à petit sont menées sur des bases secondaires de déploiement des unités irakiennes. Un tel mouvement est déjà planifié par les militaires britanniques (aujourd’hui principalement à Besmayah, Taji et Al Asad), néerlandais ou belges, et peut-être demain pour les militaires français.

Enfin, même si les unités concernées aujourd’hui par les opérations à Mossoul (principalement ICTS, 9ème et 16ème divisions) subissent d’importantes pertes (de l’ordre de 20 à 30% des effectifs mis hors de combat, tués ou blessés, pour certaines), il n’est pour le moment pas prévu de les faire relever par des unités impliquées dans la sécurisation d’autres parties du territoire. Et donc, par exemple, de dégarnir la capitale Bagdad, par un transfert d’éléments de la 6ème division conseillée par les militaires français. En attendant ces éventuelles évolutions marginales, la relève se prépare avec la 9ème BIMa (brigade d’infanterie de marine de Poitiers) prochainement en charge de ce volet conventionnel, notamment avec des éléments du 126ème régiment d’Infanterie (Brive).

Si les autorités américaines (notamment de la précédente administration Obama) se sont déjà exprimés sur "l’après" de gagner la paix, en soulevant la nécessité de planifier le maintien dans la durée d’éléments ("a residual force") pour accompagner les forces de sécurité irakiennes dans leur longue reconstruction, les autorités françaises ne se sont pas encore prononcées publiquement. Laissant peut-être cela au prochain gouvernement, tout en attendant les possibles évolutions décidées par le président Trump dans les semaines à venir (envoi de renforts, déploiement de nouveaux moyens : unités blindés, hélicoptères, etc.) et la nécessité de faire ou non un effort supplémentaire sur le plan militaire. Ces décisions coïncideraient plus ou moins avec la reprise de l’offensive dans les quartiers Ouest de Mossoul, à la fois par une délicate opération de franchissement via des ponts mobiles (des conseillers militaires britanniques ayant été déployés il y a plusieurs mois pour fournir des formations dans ce domaine) et par l’Ouest de la ville, aujourd’hui complètement encerclé. Ces opérations devraient se révéler pas moins complexes que celles à l’Est, avec des quartiers plus denses sur le plan architectural, permettant encore moins l’évolution de véhicules, et obligeant à de lents et coûteux combats d’infanterie face à un adversaire déterminé, qui s’est préparé à ces assauts par une valorisation de ses positions défensives. Le même assemblage hétéroclite de 100.000 éléments devrait opérer. L’Est devant rester à la charge de la 16ème division, quand depuis les berges, l’ICTS devrait avancer vers l’Ouest avec le soutien de la 9ème division blindée, la Police fédérale et l’unité spécialisée Emergency Response Division depuis le Sud-Ouest, la 15ème division d’infanterie (aujourd’hui en opérations vers Tall Kayf, soutenue par la TF Wagram) depuis le Nord, et les milices chiites PMU restant chargées des voisinages Ouest.

Quid de la stabilisation et de la sécurité : l'impensé de l'emploi de la Gendarmerie

Dans le cadre d’un processus (très théorique) de gestion de crise, la phase de stabilisation suit celle de l’intervention, parfois de manière concomitante quand certaines zones ont été reconquises pendant que d’autres ne le sont pas encore. C’est particulièrement vrai avec les dernières opérations en Irak, où le recul de l’organisation État islamique est déjà effectif sur certains pans du territoire irakien, et conduit à sa plus grande dilution via un retour plus ou moins marqué à une forme de clandestinité. Afin d’assurer le retour des populations civiles à la vie "normale", le maintien d’un niveau minimum de sécurité est nécessaire, avec un rôle plus important pour les forces de police. D’ores-et-déjà le dispositif actuel permet de participer aux deux volets : appuyer la reconquête des territoires (via l’aide à l’ICTS notamment), et rétablir puis maintenir la sécurité dans la région. En effet, la 6ème division, par exemple, à la lourde tâche d’assurer la sécurité de la capitale Bagdad, notamment la partie Nord et Ouest, avec d’autres forces de police).

Dans le cadre du continuum de la diplomatie de Défense et de la Sécurité, l’effort français pourrait évoluer prochainement, pour aller au-delà des efforts ponctuels faits sur la question « sécurité ». Les besoins sont en effet immenses, et la France pourrait apporter certains savoir-faire. Par exemple, selon les estimations de responsables de la coalition internationale, entre 30 et 45.000 militaires et policiers seront nécessaires pour assurer la sécurité post-intervention rien que dans Mossoul et ses proches environs. Le combat contre l’Etat islamique et affiliés, la sécurisation des frontières, la lutte contre les trafics, etc. sont loin d’être des taches de court terme. Cet effort de formation et de conseil pourrait concerner d’autres unités irakiennes que celles actuellement formées et conseillées, via le déploiement d’instructeurs et conseillers issus de forces de police françaises (police et gendarmerie). D’ores et déjà quelques, très rares, formations sont dispensées.
 

Dons de 2 tenues de déminage complètes par la France.

La présence actuelle de la Gendarmerie nationale en Irak est surtout pour le dispositif d’escorte d’autorités et de sécurisation de l’ambassade et des consulats (environ 10 personnels dits Techniciens d’escorte d’autorité et de sécurisation de site (TEASS) avec parfois des renforts issus du groupe d’intervention GIGN, et des éléments fournis par une société de sécurité privée Anticip)[10]. Contrairement à d’autres pays ayant un modèle assez similaire à l’organisation française de la Gendarmerie (force armée de police à statut militaire, apte du fait de sa "militarité" à opérer dans des zones peu sécurisées), la France a une faiblesse stratégique à penser, planifier et utiliser cet outil pour des opérations à l’étranger. Contrairement à la Guardia civil espagnole ou aux Carabiniers italiens, très présents en Irak. Ce fût le cas au Kosovo, en Afghanistan, ou en Centrafrique, mais toujours très ponctuellement. Le très haut niveau d’emploi sur le territoire national, notamment des escadrons de gendarmerie mobile (109 à ce jour), permet peu de dégager de la masse critique pour des missions secondaires : 17 à 20 EGMs sont en permanence dans les Outre-Mers, 6 en Ile de France, 2 en Corse, 5 à 6 entre Calais et Dunkerque, etc. En mai 2016, 600 gendarmes (mobiles, départementaux, spécialisés) étaient à l’étranger : 60% en ambassades pour des missions de coopération ou de sécurisation, 10% au sein d’institutions internationales, 10% en missions prévôtales et seulement 20% en opérations extérieures (RCA, Sahel, etc.). Ainsi, la participation forte de la Gendarmerie à la réforme du secteur de la sécurité en Irak est malheureusement peu envisageable, en l’état actuel.

Actuellement en Irak, l’attaché de sécurité intérieure (ASI) est un commissaire de la Police nationale. Dans le cadre de la coopération avec le ministère de l’Intérieur irakien, les axes d’effort se portent notamment sur la lutte contre les engins explosifs improvisés. Ainsi, en septembre - octobre 2015, 15 démineurs irakiens ont été formés en France. De nouvelles formations pour une douzaine de démineurs ont eu lieu en octobre 2016 à Bagdad, à Souleymane (Kurdistan irakien) et en France, la France fournissant également des tenues complètes de démineurs. C’est la poursuite d’une action de longue haleine ayant débutée il y a plusieurs années, des journalistes sur place rencontrant parfois ces démineurs locaux formés en France, parfois au début des années 2000 (notamment au sein de centres de formation de la Sécurité civile). L’attaché de défense et l’attaché d’armement de l’ambassade sont régulièrement associés, gage de la complémentarité des services de sécurité et de défense.
 

Les autres axes d’effort sont la lutte contre les trafics de stupéfiants, la gestion de crise via la visite d’une délégation de haut niveau, la gestion démocratique des foules, avec une mission d’audit menée en août 2016 par un expert du centre national d’entrainement des forces de la gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier et un expert d’une compagnie républicaine de sécurité. Cette dernière visait à déterminer les besoins de la police irakienne pour la création d’unités de gestion démocratique des foules (notamment à Bagdad, lieu de fréquentes manifestations d’ampleur). De plus, des cours de français sont menés, pour permettre à termes la scolarité de stagiaires irakiens dans les écoles de la gendarmerie nationale et de la police nationale en France.

Conclusion : un discret exemple du continuum de la diplomatie française de défense et de sécurité

Au final, tous ces militaires français, aux actions moins couvertes que celles permettant de faire des prises de vue et de son de décollages et d’atterrissages d’appareils (depuis des bases flottantes, ou non, à la dénomination pseudo-confidentielle, ou non…) participent bien à cet objectif de libération puis de sécurisation de l’Irak, et dans une moindre mesure pour le moment de la Syrie. Ils s’attaquent à l’un des piliers de la construction des attributs étatiques (un territoire) de l’organisation Etat islamique via la participation à des opérations de préparation (phase « shape »), de reprise (« clear ») et de sécurisation (« hold »). Ils le font avec une relative discrétion : en plus de 2 ans, 5 à 6 reportages en pool (agences et médias : Europe 1 - ici et - ou France 2 notamment pour les forces spéciales, AFP, Le Parisien (lors des visites de hautes autorités), Reuters, etc.) autorisés par les services de communication des armées, et tout autant de reportages dans les très officielles publications du ministère de la Défense (revues d’armées ou Journal de la Défense).

Celle relative discrétion peut être comprise aussi comme une volonté prudente d’agir à bas bruit et de ne pas être tenu pour responsable de possibles aléas fréquemment connus lors de la remontée en puissance d’armées étrangères conseillés et/ou formés. Cette œuvre, généralement de longue haleine, est souvent faite de succès peu pérennes et de revers. L’Histoire récente d’écroulements plus ou moins violents de forces armées pourtant soutenues depuis des années le rappelle : Irak notamment en 2004 à Falloujah ou en 2013/2014, Mali en 2012/2013, incertitudes en Afghanistan depuis le retrait rapide de la majorité des forces de la coalition en 2013/2014, etc. La garantie des résultats n’est en rien automatique. De plus, leurs actions est également moins perceptibles à court terme, inscrites dans le temps, et peu « comptabilisables » comme nous avons tenté de le souligner dans la partie "quels résultats ?". De plus, au-delà d’une visite du chef d’état-major des armées en février 2015, du ministre de la Défense en avril 2016 et du Président de la République en janvier 2017, peu de hautes autorités les visitent et permettant un coup de projecteur. Le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT) s’y est-il rendu, par exemple ? 
 

 
Quand l'Elysée montre la voie dans le floutage des militaires irakiens...

De plus, la décision française a été de gérer en autonome sa communication stratégique, et non au sein de la coalition : production autonome de supports sons et images, pas de reprise croisée des éléments sur les canaux de diffusion pour amplifier "la caisse de résonance", etc. Cela a l’avantage de pouvoir appliquer ses propres règles de sécurité opérationnelle. Malgré les quelques difficultés soulignées plus hauts avec l’exemple du GTA. Ou malgré des règles d’harmonisation peu claires, comme pour le floutage des militaires français mais non de partenaires irakiens (pourtant pas moins exposés).

Au final, cet exemple d’intervention au sol, à relativement bas-bruit, montre combien le dialogue politico-militaire, la coopération de défense et de sécurité et les aides à la formation d’armées étrangères sont des outils traditionnels de l’action internationale de la France. Ces modes d’actions, plus ou moins indirects, permettent de développer des moyens et des pratiques servant une approche indirecte, propres à permettre à la France, entre autres, de « faire faire », second terme de la définition de la puissance donnée par le juriste Serge Sur : « Faire, faire faire, empêcher de faire et refuser de faire ». Inscrite dans le temps long de l’histoire militaire de la France et de son influence sur la scène internationale, cette diplomatie mise en œuvre notamment par les forces terrestres semble bien être un atout toujours d’actualité. C’est une véritable boîte à outils qui est mise à disposition de l’autorité politique, en offrant une large palette d’effets, en agissant sur tout le continuum des opérations (intervention, stabilisation, puis normalisation) et quel que soit l’état des forces armées locales. La coopération opérationnelle laissera à long terme la place à de la coopération structurelle, ciblant la qualité plutôt que la quantité.
 
Les armées françaises n’en ont pas fini, et la nécessité d’une mise à jour régulière de cette présentation pourrait donc se poser dans les mois à venir. A suivre.

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